Géopolitique du gaz : comprendre ce qui se passe en Méditerranée orientale
La situation géopolitique autour des gisements gaziers méditerranéens pourrait aisément inspirer le synopsis d’un thriller cinématographique. Parmi les 5 protagonistes – Chypre, Égypte, Israël, Liban et Turquie – qui tirera son épingle du jeu dans la ruée vers l'exploitation du gaz naturel en Méditerranée orientale ? Le maGAZine vous propose son synopsis... sans gâcher le suspense !
Enjeu principal : le marché européen
La Méditerranée orientale, avec moins de 2 % des réserves mondiales, n’est pas le gisement de gaz naturel le plus significatif en termes de volume. Son emplacement géographique en fait toutefois un point d’intérêt régional de première importance. L’enjeu ? L'exploitation du gaz naturel en Méditerranée orientale et son exportation vers l’Europe occidentale, principal marché consommateur.
Depuis 2009 et la découverte de ressources énergétiques sous-marines dans le secteur, les alliances internationales se font et se défont entre pays intéressés. Dans ce contexte, les tensions et rapports de force se concentrent autour des 3 exportateurs potentiels : Israël, Chypre et l’Égypte.
Un accord a été signé en décembre 2017 par Chypre, la Grèce, l’Italie et Israël en vue de la construction d’un pipeline sous-marin de 2 000 km de long reliant l’État hébreu à l’Europe. En mars 2018, cependant, Chypre met son veto à la portion du conduit devant traverser sa zone économique exclusive. Une façon de défier la Turquie, bénéficiaire indirecte de ce projet EastMed.
🇪🇺 En Europe, comment s’organise le marché du gaz ? 🇪🇺
Chypre-Turquie : rapport de force pour l'exploitation du gaz naturel en Méditerranée orientale
En février 2018, d’importants gisements de gaz naturel sont découverts au large de Chypre. Une excellente nouvelle après plusieurs années d’opérations de forage infructueuses ! Certains misent même sur un facteur de réunification de l’île, partagée entre la République de Chypre et un tiers nord sous occupation turque...
Occasion manquée ! Quelques jours plus tard, la Turquie demande que l’exploration de la zone soit mise en pause tant qu’un accord n’a pas été conclu pour mettre fin à la division. Ankara exige également que les Chypriotes turcs reçoivent une part des produits financiers de l’exploitation du gaz naturel.
Nicosie, capitale de l’île, en appelle à la médiation de l’Union européenne pour violation du droit international. Prenant le contre-pied de son adversaire, elle pose le déblocage de la situation comme condition à la reprise des discussions sur la réunification.
Chypre pourra peut-être compter sur ses alliés israéliens et égyptiens. Israël a en effet soutenu le droit de forage de l’île et Le Caire a mis en garde la Turquie contre toute atteinte à ses droits dans la zone de démarcation de sa frontière maritime avec Chypre. Reste que ces 2 soutiens se sont eux-mêmes lancés dans une compétition énergétique…
🌍 Vers une mondialisation du gaz naturel ? 🌍
Israël-Égypte : la nouvelle donne ?
L’Égypte est confrontée à d’importants défis énergétiques et doit notamment répondre à une forte demande de consommation domestique. Après l’épuisement des réserves de gaz naturel situées au large du delta du Nil au début des années 2000, le pays est devenu dépendant des importations israéliennes.
En 2012, des attaques islamistes à l’encontre d’un pipeline situé dans la péninsule du Sinaï provoquent la discorde entre les deux voisins. En août 2017, faute d’accord bilatéral, Le Caire adopte une mesure permettant aux entreprises égyptiennes d’importer du gaz israélien sans solliciter l’accord du Gouvernement. C’est ainsi que le 19 février 2018, Israël annonce la conclusion d’un contrat historique de 15 milliards de dollars avec une entreprise égyptienne pour l’importation de gaz naturel.
Le gouvernement égyptien continue pour autant de soutenir que le pays n’a pas besoin d’importer du gaz naturel. L’avenir pourrait lui donner raison avec la récente annonce de la mise en exploitation du champ égyptien de Zohr par ENI et le russe Novatek. Découvert en 2015, ce gisement géant constitue la plus grande découverte de gaz naturel en Méditerranée orientale. Avec son volume estimé de 30 000 milliards de m3, Zohr devrait mettre le pays sur la voie de l’indépendance énergétique pour de nombreuses années…
📍 Le point sur les gisements de gaz découverts ces dernières années 📍
Liban-Israël : une frontière maritime confuse
Contrarié par son voisin égyptien, l’État hébreu doit également faire face à une situation explosive mettant en cause son voisin libanais. Le 9 février 2018, Beyrouth a conclu son premier contrat d’exploration d’hydrocarbure offshore avec un consortium regroupant Total, ENI et Novatek. Une manne pour un pays dont la dette publique atteint 180 % du PIB !
Problème : ce permis de recherche couvre notamment la zone maritime du bloc 9, objet d’un conflit entre Israël et le Liban ! La ligne bleue, tracée en 2000 par l’ONU, n’ayant pas été étendue à la mer, un différend maritime long de 860 km2 oppose depuis les 2 pays. Les discussions entamées en 2017 ont bien failli solutionner le conflit avant que le projet de mur israélien ne vienne faire capoter les négociations.
Si les États-Unis se proposent d’intervenir pour arbitrer le conflit, la situation n’a pas tardé à prendre une tournure des plus inquiétantes. Le Hezbollah a en effet menacé Israël, dont les plateformes offshore sont à portée des missiles du groupe armé libanais...
L'exploitation du gaz naturel en Méditerranée orientale continue de nourrir les conflits et tensions entre les États. Si la présence des compagnies gazières occidentales, principaux investisseurs du secteur, permet d’assurer un certain équilibre dans la région, la situation n’en reste pas moins extrêmement tendue… Quel impact auront ces tensions sur les marchés du gaz naturel ? Inscrivez-vous à la Weekly pour en suivre les évolutions !
Image à la Une : Wikipédia – creative commons