[Interview] La concurrence sur le marché du gaz a considérablement évolué – Marc Boudier
Après avoir commencé sa carrière au ministère des Finances, avoir été le conseiller pour les affaires économiques internationales de François Mitterrand à l’Élysée, travaillé chez Vivendi pour devenir ensuite directeur Europe d’EDF, Marc Boudier est, depuis avril 2013, le président de l’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (AFIEG). Il nous en explique les missions et les actions.
Pouvez-vous nous présenter l’AFIEG ?
L’Association française indépendante de l’électricité et du gaz a été fondée en 2011. Elle regroupe un certain nombre d’acteurs de la production et de la fourniture présents sur le marché français. Ces acteurs, pouvant être qualifiés “d’alternatifs”, sont surtout concernés par le secteur industriel pour le moment.
Nous souhaitons, en tant qu'association, être un interlocuteur clé des pouvoirs publics, afin de faire évoluer le cadre régulatoire et le paysage énergétique français. Nous présentons en effet une vision alternative à celle des grands acteurs historiques que sont EDF ou Engie, et nous voulons faire entendre cette voix, sachant que nous représentons aujourd’hui 4 200 MW de puissance électrique installée en France, 48 TWh d’électricité fournis aux clients français en 2012 et 38 TWh de gaz.
Diriez-vous que ces acteurs que vous représentez manquaient de visibilité ?
Même s’il y a eu une ouverture relativement précoce du marché, on ne peut pas dire qu’il s’exerce encore une concurrence suffisante. La vision qui prédomine dans notre pays sur le marché de l’énergie est très franco-française, et ne prend pas assez en compte, il nous semble, une vision plus internationale. Si la plupart des membres de l’AFIEG sont des acteurs importants sur la scène européenne, il n’en est pas encore de même sur le marché national, dans une situation encore quasi monopolistique pour l'électricité, ce qui est différent de ce qui se déroule dans tous les autres pays européens. Par contraste EDF et ENGIE ont souvent pu constituer des positions très fortes sur certains marchés tiers, en Grande-Bretagne et en Italie notamment.
Existe-t-il des sujets relatifs au gaz naturel sur lesquels l’AFIEG prend volontiers position ?
Pratiquement tous les sujets énergétiques importants sont traités au sein de l’association. Outre nos réunions de bureau qui se déroulent au moins une fois par mois en présence de tous les dirigeants des entreprises membres, il existe trois collèges traitant de problèmes spécifiques à chaque domaine d’activité : les deux premiers sont consacrés à la production et à la fourniture d’électricité et le troisième au gaz. C’est dans ce collège que sont traités les sujets liés au gaz, qu’il s’agisse par exemple dans un passé récent des déséquilibres en termes de prix entre le nord et le sud qui se sont aujourd’hui beaucoup atténués, ou encore des questions liées au stockage pour lesquelles l’AFIEG fait des propositions aux pouvoirs publics.
Justement, qui sont vos interlocuteurs au sein des pouvoirs publics ?
Pour l’administration, il s’agit essentiellement de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) au sein du ministère de l’environnement et du développement durable. Il peut également s’agir de cabinets d’autres ministères, notamment financiers, intéressés par les questions d’énergie, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) qui nous consulte sur un certain nombre de réformes, l’autorité de la concurrence, la Cour des comptes ou encore la Commission européenne.
Avez-vous une action au niveau européen ?
Nous n’avons pas pour vocation de représenter les différents membres de l’association ailleurs que sur le marché français, mais les problématiques françaises, comme la fin des tarifs réglementés, peuvent nous amener à exposer notre point de vue à Bruxelles. Soit de manière originale, quand nous ne sommes pas en accord avec les acteurs historiques que sont EDF ou Engie, soit de manière unanime ou consensuelle sur certains points avec les autres grands acteurs de marché, y compris ces acteurs historiques.
Peut-on dire aujourd’hui que l’ouverture à la concurrence sur le marché du gaz est en bonne voie en France ?
Elle a considérablement évolué par rapport à ce qu’était la situation il y a encore dix ans, et dans un sens de plus grande concurrence. C’est plus vrai dans le domaine du gaz, par rapport à l’électricité, pour de nombreuses raisons, notamment l’accès aux moyens de production très difficile dès qu’il est question de nucléaire ou d’hydraulique. Mais en ce qui concerne le gaz, Engie qui était en situation de quasi monopole ne représente pas plus aujourd’hui de 50 % du marché.
Que fait l’AFIEG pour le consommateur final ?
Nous souhaitons des réformes d’ampleur et stratégiques, nous avons d’ailleurs rédigé un livre blanc sur les grandes orientations que nous espérons pour les marchés français et européen. Mais l’AFIEG défend aussi de manière pointue un certain nombre de mesures concrètes. Citons un exemple, celui des compteurs intelligents. Outre le fait que nous ayons pu craindre à un moment donné que les entreprises ne soient pas aussi considérées que le grand public sur le déploiement de ces compteurs, nous nous sommes surtout aperçu que les conditions économiques de leur utilisation n’était pas idéales. En effet, le principe de tarification prévoyait des paiements tels qu’il était plus bénéfique de ne pas les utiliser, alors même que l’on visait des économies pour le client final. L’AFIEG a milité pour que le coût d’installation et d’utilisation des compteurs pour les PME ne soit pas préjudiciable à leur utilisation.
Sur quels prochains grand enjeux liés au gaz allez-vous intervenir ?
Nous nous intéressons beaucoup à la mise en œuvre des nouveaux systèmes de stockage, afin d’éviter trop d’obligations régulatoires. Même s’il reste du travail, l’AFIEG a proposé la solution retenue d’un système alternatif de mise aux enchères, afin d’être sûr qu’à tout moment il y ait un système de secours et d’acheminement.
Il y a aussi tout un travail à réaliser dans la relation entre les fournisseurs et le distributeur, qu’est GRDF. Cela a été engagé dans l’électricité, avec ERDF et nous souhaitons que ce travail soit répliqué sur le gaz, pour des relations équitables et in fine plus favorables au consommateur.
En tant que professionnels de l’énergie, quel regard portez-vous sur la COP 21 ?
Nous sommes persuadés que c’est une question essentielle et que des mesures réalistes mais aussi ambitieuses que possible, doivent être prises, qui permettront de se projeter à la fois à court, moyen et long termes. Ce qui n’est pas toujours la même chose. Je prends un exemple : peut-être qu’à moyen ou long terme nous disposerons de solutions de stockage de l’énergie qui permettront d’utiliser de façon plus soutenue les énergies renouvelables intermittentes (EnR) ; en attendant, l’erreur serait de sacrifier aujourd’hui des moyens de production peu polluants tels que le cycle combiné gaz au profit d’autres énergies fossiles beaucoup plus émettrices de CO2, comme le fuel. Nous militons donc pour des actions concrètes et adaptées aux circonstances. Nous avons fait des propositions pour modifier les modalités de soutien aux EnR. Si nous considérons ces soutiens comme indispensables, nous sommes favorables au nouveau système de complément de rémunération alors que celui “d’obligations d’achat” tel qu’il existait auparavant a eu pour effet de fausser complètement le marché.